La crise anglophone au Cameroun: une nouvelle perspective

Le journaliste Hippolyte Eric Djounguep

Par Hippolyte Eric Djounguep, 24 mai 2020

Le violent conflit entre les autorités camerounaises et les séparatistes des deux régions anglophones depuis octobre 2016 ne cesse de s'aggraver. Ces régions étaient sous-mandats de la Société des Nations (SDN) à partir de 1922 (date de la signature du traité de Versailles) et sous-tutelle de l'ONU à partir de 1945, et administrées par la Grande-Bretagne jusqu'en 1961. Plus connue sous le nom de « Crise anglophone », ce conflit a fait des ravages: près de 4,000 792,831 morts, 37,500 35,000 déplacés internes, plus de 18,665 XNUMX réfugiés dont XNUMX XNUMX au Nigeria, XNUMX XNUMX demandeurs d'asile.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a tenu une réunion sur la situation humanitaire au Cameroun pour la première fois le 13 mai 2019. Malgré l'appel du Secrétaire général des Nations Unies à un cessez-le-feu immédiat pour une réponse globale à Covid-19, les combats ont continué de détériorer le le tissu social de ces régions du Cameroun. Cette crise s'inscrit dans une série de conflits qui ont marqué le Cameroun depuis 1960. Il s'agit d'un des épisodes les plus significatifs, mesuré tant par le nombre d'acteurs impliqués et leur diversité que par ses enjeux. Les enjeux perçus sous un angle reflètent encore les liens pas toujours rompus remplis d'images et de représentations anachroniques d'un passé colonial, et une perspective qui au fil des années n'a pas complètement évolué.

Un conflit couvert a priori décalé par rapport à la réalité

La perception des conflits en Afrique est construite par un certain nombre de mécanismes, dont certains sont souvent repris par les médias et d'autres canaux de transfert de connaissances. La manière dont les médias décrivent la crise anglophone au Cameroun par une frange de la presse internationale et même nationale révèle encore un discours qui peine à se détacher d'une vision soi-disant sous tutelle. Le discours parfois jonché de représentations, de clichés et de préjugés d'avant l'indépendance continue aujourd'hui. Certains médias et autres canaux de transmission des connaissances dans le monde et même en Afrique entretiennent des prismes et des paradigmes qui permettent à cette image coloniale et postcoloniale de l'Afrique de s'épanouir. Cependant, ces représentations stéréotypées du continent africain obscurcissent ou sapent les efforts de démarcation d'une autre catégorie médiatique: intellectuels et universitaires qui ne se laissent pas emporter par cette vision post-colonisatrice en optant pour des informations vérifiées et des enjeux qui font de l'Afrique, la continent composé de 54 pays, aussi complexe que tous les autres continents du monde.

La crise anglophone au Cameroun: comment la qualifier?

La crise anglophone est présentée dans certains tabloïds internationaux des médias et autres canaux de diffusion comme appartenant au groupe d'événements appelés «catastrophes naturelles» - une qualification et une naturalisation faciles pour les événements sociaux qui se produisent régulièrement en Afrique et dont les médias sont conscients. N'étant pas suffisamment conscients, ils «blâment» le régime de Yaoundé (capitale du Cameroun) dans lequel «la longévité et la gouvernance négative ont provoqué la guerre». Le chef de l'Etat de la République du Cameroun en la personne de Paul Biya est toujours évoqué dans tous les actes négatifs: «manque d'éthique politique», «mauvaise gouvernance», «silence présidentiel», etc. ni la véracité ni la gravité des faits rapportés mais l'absence d'explications alternatives de certains discours.

Question ethnique?

La naturalisation de cette guerre sur le continent africain qui se déroule à travers l'évocation des facteurs ethniques est une dimension fondamentale du discours colonial sur l'Afrique qui se poursuit aujourd'hui. La raison pour laquelle ce conflit n'est finalement considéré que comme un phénomène naturel se situe plus largement sur un axe qui oppose nature et culture et dont on trouve diverses évocations dans une certaine littérature. «La crise anglophone» est souvent décrite comme un phénomène qui ne peut être expliqué rationnellement ou presque. Le point de vue qui favorise les causes naturelles dans l'explication de la guerre développe très souvent un discours essentialiste. Ceci renforce en mélangeant au discours une image apocalyptique, dans laquelle on retrouve notamment des thèmes tels que «l'enfer», «malédiction» et «obscurité».

Comment devrait-il être évalué?

Cette évaluation est plus régulière et parfois décidée dans certains médias et une partie importante des canaux de transmission des connaissances. Dès le début de l'impasse de la crise anglophone le 1er octobre 2017, il était entendu que «cela se traduirait probablement par une nouvelle fragmentation de la politique camerounaise et la propagation des milices locales enracinées dans les loyautés tribales ou l'enfer de la guerre entre tribus». L'Afrique regarde maintenant le Cameroun. Mais attention: des termes tels que «tribu» et «groupe ethnique» sont chargés de stéréotypes et d'idées reçues, et détartrent la substance de la réalité des choses. Ces mots, selon certains, sont proches de la barbarie, de la sauvagerie et du primitif. Il faut noter que, dans une description, les combats ne s'opposent pas à des factions ayant choisi l'option de la guerre au détriment d'une autre, mais elles semblent s'imposer à elles puisqu'elles sont dans certaines ainsi «entraînées».

Une litanie de mots négatifs

Ce qui se passe habituellement dans la «crise anglophone» est une scène de chaos, de confusion, de pillage, de cris, de pleurs, de sang, de mort. Rien qui suggère des batailles entre groupes armés, des officiers menant des opérations, des tentatives de dialogue initiées par les belligérants, etc. La question de ses mérites n'est finalement pas justifiée puisque cet «enfer» n'aurait aucun fondement. On pourrait comprendre que «le Cameroun est un sérieux revers pour les efforts des organisations internationales pour aider l'Afrique à résoudre ses guerres». D'autant que «selon un récent rapport de l'ONU, la crise anglophone au Cameroun est l'une des pires crises humanitaires, touchant environ 2 millions de personnes».

Des images traumatisantes aussi

Certes, une catégorie de médias affirme que «les affrontements au Cameroun sont horribles et complexes». Ces souffrances sont réelles et restent en grande partie indescriptibles. De plus, les récits réguliers de ces souffrances, dont nous n'expliquons pas les raisons, sont particulièrement compatissants face à ce qui est une fatalité propre à l'Afrique et dont personne n'est réellement responsable. D'après l'analyse du sociologue français Pierre Bourdieu, parlant d'images d'actualités télévisées du monde, de tels récits constituent finalement «une succession d'histoires en apparence absurdes qui finissent toutes pareilles (…)« les événements sont apparus sans explication, disparaîtront sans solutions ». . La référence à «l'enfer», «l'obscurité», «les explosions», «les éruptions», aide à mettre cette guerre dans une catégorie distincte; celle des crises inexplicables, rationnellement incompréhensibles.

Les images, les analyses et les commentaires suggèrent la douleur et la misère. Dans le régime de Yaoundé, il y a un manque de valeurs démocratiques, de dialogue, de sens politique, etc. Rien de ce qu'il possède ne fait partie du portrait qui est offert de lui. Il est possible de le décrire aussi comme un «brillant planificateur», un «organisateur compétent», un gestionnaire avec quelques compétences. On peut légitimement suggérer que le fait d'avoir pu maintenir un régime pendant plus de 35 ans malgré de nombreux rebondissements peut lui valoir ces qualifications.

Coopération sur de nouvelles bases

La naturalisation de la crise anglophone au Cameroun, la solution d'une intervention internationale pour y mettre un terme et l'absence dans certains discours médiatiques des voix des acteurs en conflit et des voix discordantes révèlent à la fois la persistance de la relation et la post- pouvoir indépendant. Mais le défi réside dans le développement d'une nouvelle coopération. Et qui dit nouvelle coopération dit nouvelle vision de l'Afrique. Il faut donc politiser et croiser les regards sur l'Afrique pour saisir les enjeux et mener une réflexion dénuée de préjugés raciaux, clichés, stéréotypes et surtout transcender bien plus cette pensée senghorienne que «l'émotion est nègre et la raison est hellène».

Une phrase plus que malheureuse et non sans avatars. Le travail de Senghor ne doit pas être réduit à cette phrase hors contexte. Malheureusement, de nombreux États africains autoritaires et totalitaires acceptent depuis des décennies les idées et les préjugés socio-politiques et économiques qui balaient l'Afrique, du nord à l'Afrique du Sud. D'autres domaines ne sont pas épargnés et n'échappent pas à un grand nombre d'a priori et de représentations: économiques, humanitaires, culturelles, sportives et même géopolitiques.

Dans la société africaine contemporaine, plus sensible à ce qu'on donne à voir qu'à ce qu'on donne à entendre, le «geste-mot» d'élucidation est une manière très précieuse de partager quelque chose d'exaltant, d'innovant et de qualitatif. La source de l'existence se trouve dans le premier «oui» qu'imposent les défis, les évolutions et les transitions en cours dans le monde. Telles sont les exigences qui sous-tendent les attentes. Signe d'une puissance incontrôlée, le discours des médias veut mettre en avant l'actualité dans toutes ses composantes pour un développement décent et concerté.

Le flux d'informations développé dans la presse internationale, les recherches dont la qualité est perceptible par la profondeur de l'analyse sont autant de choses qui nous éloignent de nous-mêmes et nous libèrent de tout souci d'auto-justification. Ils appellent à laisser l'information transformer les états, à «psychanalyser» les habitudes pour les mettre en phase avec la mondialisation. Ainsi, selon l'exégèse du discours médiatique, «l'analyse est à la fois réception, promesse et envoi»; ne retenir qu'un seul des trois pôles ne rendrait pas compte du mouvement même de l'analyse. 

Mais tout le mérite revient à certaines personnalités de la presse internationale, du monde académique et scientifique qui imposent le devoir d'offrir un signe et un mot qui disent les enjeux et les ambitions d'une Afrique sortie des paradigmes usés et usés. Il ne s'agit pas pour ces derniers de faire un acte magique qui obligerait les circonstances à être favorables à l'Afrique; cela ne signifie pas non plus que tous les projets du continent soient approuvés. Puisqu'il s'agit d'informations stratégiques qui rendent toutes choses nouvelles, puisqu'elles créent la confiance en l'avenir, elles sont de véritables sources de paix et d'espoir; ils ouvrent l'avenir et guident une dynamique de vie renouvelée. Ils attestent aussi de la présence du bonheur dans les échecs comme dans les réussites; en marches assurées et en déambulations. Ils n'apportent ni les incertitudes de la vie humaine ni les risques de projets ou de responsabilités, mais soutiennent la confiance en un avenir encore meilleur. Cependant, il ne s'agit pas de confondre la diversité légitime avec la juxtaposition ni de convictions et de pratiques individuelles (pluralité simple) ni d'assimiler l'unité des sens avec l'imposition à tous d'une conviction et d'une pratique unique (uniformité).

Cette image de l'Afrique n'est pas seulement exogène et seulement vécue; il est également coproduit et parfois mis en scène à l'intérieur du continent. Il ne s'agit pas de tomber dans l'écueil «l'enfer, ce sont les autres». Chacun fait face à ses responsabilités.

 

Hippolyte Eric Djounguep est journaliste et analyste géopolitique pour le magazine français Le Point et contributeur à la BBC et au Huffington Post. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Cameroun - crise anglophone: Essai d'analyse post coloniale (2019), Géoéconomie d'une Afrique émergente (2016), Perspective des conflits (2014) et Médias et Conflits (2012) entre autres. Depuis 2012, il a effectué plusieurs expéditions scientifiques sur la dynamique des conflits dans la région des Grands Lacs africains, dans la Corne de l'Afrique, dans la région du lac Tchad et en Côte d'Ivoire.

une réponse

  1. C'est vraiment triste d'apprendre que les troupes françaises du Cameroun continuent à tuer, piller, violer, etc. des anglophones innocents d'Ambazonie qui cherchent à restaurer leur indépendance légitime. Le SG de l'ONU a déclaré un cessez-le-feu en raison de l'attaque du Coronavirus sur le monde, mais le gouvernement du Cameroun français continue à attaquer, tuer, détruire les Ambazoniens.
    La chose la plus honteuse est que le reste du monde détourne les yeux de l'injustice flagrante.
    L'Ambazonie est déterminée à se battre et à se libérer du néocolonialisme.

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